« Quelques fois il n’y a rien, rien que le vide, l’impression que tout a déjà été écrit ici. Se renouveler semble impossible et reprendre un sujet, lassant. Pourtant quand j’étais plus jeune j’avais réalisé que mon métier était un microcosme où je pouvais creuser à l’infini. Encore faudrait-il que le monde me porte. Mais aujourd’hui je suis comme éreintée par l’ampleur des dégâts que notre monde a subis en si peu d’années.
Quand je demande au Conte de me consoler, il me vient une image où il se présente comme silencieux, installé sereinement dans un lieu profond et hors d’atteinte des brutalités de l’extérieur. Je le vois dans une sorte de mandorle à l’intérieur de mon cœur, ou de mon corps, peut-être. Il est calme comme un méditant dans sa grotte.
Cela m’apaise. Le monde est devenu si effrayant ! Comment le supporter ?
Le Conte respire paisiblement et l’image évolue, se révèle. En fait, il se tient entre mes mains jointes ; c’est là sa cathédrale. Peut-être est-ce de l’image de nos mains jointes que sont nées les mandorles ? C’est vrai que notre art du conteur est dans nos mains, n’est-ce pas. Je ne veux pas dire entre nos mains – c’est un autre sujet.
Les mains du conteur sont précieuses comme celles du pianiste. Voilà ce que le Conte me souffle aujourd’hui. Et c’est vrai, on n’en parle pas assez souvent. Le conteur n’est pas quelqu’un qui parle avec les mains. Non. Il est quelqu’un dont les mains parlent. Ses mains sont vivantes, reliées au cœur, au conte, et portent le récit avec précision et un incroyable jeu de nuances, tout un vocabulaire manuel.
Il ne faut jamais bloquer les mains des débutants. Enseignants conteurs promettez-le moi. J’ai vu naitre un oiseau de grande envergure en libérant des mains bloquées sur les genoux. Soudain Horus s’envole, Osiris est dans la pièce, la débutante est debout, habitée par le mythe, comme je n’ai plus jamais vu de ma vie ensuite. Éblouissant !
Les mains détiennent notre art, j’en suis sûre. Un jour où l’orage a fait s’éteindre les projecteurs, le public s’est trouvé tout entier dans ma main. Je contais en un souffle. Quelle tendresse ! On a tous regretté que la lumière revienne.
Mes mains aiment faire les canards qui remontent la couronne du roi perdue au fond du lac. Elles deviennent la couronne. Mais en réalité elles sont la source jaillissante d’où nait le merveilleux.
Et vos mains, qu’aiment-elles ? Qu’animent-elles ? »
Catherine Zarcate